« Dégages ! » J'avais poussé une rouquine du haut du toboggan car elle ne voulait plus y descendre. Cela faisait cinq minutes que j'attendais et on ne pouvait pas dire que j'étais très patient. J'étais un gamin de six ans, bagarreur et effronté. Il n'était pas rare que je me batte avec un élève dans la cour de l'école et que je me retrouve puni à faire des lignes avec des égratignures et des bleus sur le corps. Je ne trouvais pas spécialement ma place et je pensais qu'en me bagarrant j'arriverai à me faire remarquer. Ma mère venait de donner naissance à une deuxième fille, et j'avais l'impression de ne plus exister à la maison entre Maddy, la nouvelle née et Haylie qui avait trois ans. Mon père m'avait dit à chaque fois que comme j'étais le plus grand je devais être sage. Je venais de pousser la fillette du haut du toboggan et au vue de ses hurlements elle avait l'air d'avoir très mal. « C'est Théo qui l'a poussé ! Je l'ai vu ! » Le chouchou de la classe venait de tirer sur la robe de la maîtresse pour attirer son attention. Cafteur. Chouchou. Monsieur avait les meilleures notes de la classe et se pensait le plus intelligent ! A la sortie de l'école, mes parents étaient là, convoqués par la maîtresse. « Il faut faire quelque chose, Théodore semble ne pas vouloir respecter les règles et s'il commence à blesser sérieusement des personnes comme la petite Abigaël, nous allons devoir le renvoyer de l'école. » J'étais sur la chaise, et d'un côté je me sentais honteux. Je n'avais jamais voulu la blesser. En rentrant mon père me donna une correction et mes fesses s'en souviennent encore. « Tu feras des excuses à cette petite fille ! Et que je ne t'y reprenne pas ! Tu préfères que ce soit le père Fouettard qui vienne à Noël ?! » Je blêmis avant d'avoir les larmes aux yeux. Je ne pensais pas que cela était aussi grave. Le lendemain j'allais voir Abigaël avec des sucettes. « Tiens. Je suis désolé. » Elle me sourit avant de les prendre dans sa main. « C'est pas grave. Mes parents m'ont offert le jouet que je voulais du coup pour me consoler ! » Elle riait légèrement, abordant fièrement son plâtre. Ce jour là, elle devint ma meilleure amie.

« Tu pars à Londres ?! » Je levais les yeux vers Abigaël. On était au lycée, en dernière année et on finissait dans quelques semaines. Elle rayonnait. Elle était jolie avec sa chevelure rousse. En fait, j'étais amoureux d'elle et ça depuis le collège. Pourtant je ne voulais pas lui dire, de peur de perdre son amitié et elle était trop bien pour moi. Dans les premières de la classe, adorable, peintre à ses heures. Moi j'étais un tocard qui me battait dès que je le pouvais et qui allait au club de base-ball pour canaliser mon énergie sous peine de me faire sermonner encore par mon père. « J'ai été prise à l'université ! Bon j'aurai préféré Cambridge. » « Mais...ça veut dire que tu déménages ?! » Cette annonce avait été comme un choc, j'en avais laissé tomber mes livres sur le sol. Je ne voulais pas qu'elle parte. Je la voulais toujours près de moi et je voulais vraiment qu'on sorte ensemble pourtant je n'y arrivais pas. « Ne t'inquiètes pas, on se contactera toujours ! » Elle me pinça amicalement la joue avant de rire. « Et en fait, l'école de police t'as répondu ? » j'avais eu la réponse le matin même, j'avais été pris. J'étais super heureux, mais ma joie venait de fondre comme neige au soleil et à présent j'avais juste envie de me mettre à genoux et de la supplier pour ne pas partir. En gros, être pathétique. Je ramassais mes livres sur le sol. « Oui. J'ai été pris. » « Mais c'est génial ! Pourquoi tu ne l'as pas dis plus tôt ?! » Je n'osais pas la regarder. « Parce que j'étais trop content pour toi... » Menteur. J'eus un faible sourire. « Londres c'est génial... » « Tu n'as pas l'air content pourtant. » Elle me regarda droit dans les yeux et cela me déstabilisa. « Si. Je te jure, c'est juste que... » Allez, dis lui. Dis lui ce que tu ressens. « ...je suis fatigué, j'ai pas toute ma tête aujourd'hui. » Crétin. « Et ça va pas s'arranger avec le cours d'histoire ! » Fit-elle en soupirant avant de tourner les talons et de commencer à marcher. J'étais stupide. Je ne pouvais pas lui dire, elle rirait de moi.

Elle était avec un mec. Voilà. J'étais pitoyable. « Et en plus il est étudiant en médecine ! Tu te rends compte ?! Il est super intelligent ! Je te jure ! » Génial. Je l'écoutais au téléphone, complètement absent. Je la voyais aussi souvent que possible, quand elle rentrait chez ses parents à Brighton ou quand je pouvais passer un week-end à Londres. Jamais je n'avais osé lui dire. Jamais. « ...tu viens ? » Je sortis de mes pensées. « De quoi ? » « T'étais en train de dormir ? » « Non, non juste ma sœur qui me demandait quelque chose. » « Je te demandais si tu venais au mariage de mon frère ce week-end ? » « Bien sûr que oui. » J'allais devoir supporter son couple à ce mariage ? Je priais que non. « Tu le rencontreras comme ça ! » Elle avait l'air super joyeuse. Elle était pleine de joie et moi, mon cœur n'était que tristesse. J'étais en train de me dire que j'allais peut-être me  faire porter malade ce jour là. « Cool. J'ai hâte d'y être ! » Fis-je d'un air enjoué pour masquer ma rage. Je lui disais que je la rappellerai plus tard et je raccrochais pour me laisser tomber d'un air pathétique dans le canapé du salon de mes parents. (...) J'étais motivé. J'avais mis mon plus beau costume et j'avais même pris des fleurs. J'étais arrivé et je la vis. Sublime dans cette robe et mon cœur manquait des battements. Elle arriva vers moi en tenant la main d'un homme. « Théo je te présente Max ! » … tout espoir venait de s'envoler. Monsieur était beau gosse, avait du charisme et avec ce que j'ai entendu il était intelligent. « Ravi de faire votre connaissance Théodore. » Il me tendit la main. Il était poli en plus. Je lui serrais la main. « Tu as amené des fleurs ?! » Elle regarda le bouquet. Je vis ma sœur passer au passage et je le lui mis dans les mains. « Une lubie de Maddy. » Fis-je avec un rire particulièrement gêné. Echec et mat.

Je vis que j'avais un appel en absence et j'écoutais le répondeur. « JE VAIS ME MARIER ! JE VAIS ME MARIER ! » Mon sourire s'effaça. Abbie m'avait laissé un message. Cette fois-ci je devais vraiment bouger mes fesses. Je me levais en prenant ma veste. « Je peux veniiiiiiiir ? » Déclara Isobel dans une dernière tentative désespérée. « Non. Occupe toi des dossiers. » Je partis sans elle. Je n'allais pas de suite sur l'affaire mais je me dirigeais vers l'habitation d'Abbie. Je frappais deux coups à la porte. Elle ouvrit. « Tu as reçu mon message ?! » Elle était rayonnante. « Ecoute Abbie... » J'étais enfin lancé. « Oh salut Théo ! » Ne m'appelle pas Théo espèce d'enfoiré... « Salut... Max. » « Alors, elle t'as mis au courant ?! » Il passa son bras autour de sa taille et l'embrassa. Mon poing se contractait. « Ouai... c'est génial. » Cette fois-ci je n'arrivais pas à garder mon ton chaleureux et Abbie me regardait en fronçant les sourcils. « je dois aller travailler. Félicitations. » Je la regardais une dernière fois, je soupirais légèrement avant de tourner les talons et d'aller sur l'affaire. Toute la journée je fis la gueule. J'étais en train de laisser le bonheur me glisser entre les doigts, définitivement.