welcome to the jungle
juillet 2009, brighton. Il l’avait relu, encore et encore jusqu’à l’apprendre par cœur. Ce bout de papier qu’il tenait entre les mains représentait beaucoup, il se pensait pris d’hallucination, de folie. Il ne rêvait pourtant pas. Il souriait, la joie l’avait envahi. « Qu’est-ce qui te rend si heureux, fils ? » Il aurait aimé lui dire la vérité. La véritable raison qui l’avait poussé à postuler dans une école d’art parisienne et non l’école d’art de Londres, tout aussi réputé. Ne plus vivre au quotidien avec lui le mettait en joie. Ne plus avoir constamment les réflexions habituelles de son père le rendait plus heureux que jamais. « J’ai été accepté dans l’école d’art à Paris. » L’art était une notion abstraite pour son paternel. Un passe-temps plus qu’une vocation, un loisir plus qu’un avenir. Il avait choisi cette école pour s’éloigner des volontés de son père. Samaël aurait pu être médecin comme il l’aurait voulu. Il aurait pu avoir une brillante carrière et continuer de marquer la médecine. Il ne voulait pas de cette vie, de ce choix imposé. « Je pensais que tu avais renoncé à cette idée saugrenue. L’art ne t’apportera que des ennuis. » Un rire sec avait franchi la barrière de ses lèvres, il se moquait de son paternel, si soucieux pour l’avenir de ses enfants. Il riait de cette attitude, de cette fermeture d’esprit. Il riait avec tant de désinvolture. « Tu n’as jamais cru en moi de toute façon, tu n’as jamais pris le temps de regarder mes dessins. Maman l’aurait fait. Elle les aurait regardés, elle m’aurait encouragé. » Sa mère était décédée alors qu’il était très jeune. Il avait pourtant le souvenir d’une femme particulièrement attentionnée. Le contraire même du père qu’il avait dû supporter depuis. « Que tu le veuilles ou non, j’irais dans cette école. Ton avis n’ont pas d’importance. » Il avait quitté le salon sans attendre une dernière réponse. Son père allait sans doute crier, tenter de détruire ses espoirs et ses rêves. Samaël avait cependant la détermination pour passer outre. Il avait choisi de quitter Londres, de quitter cette famille qu’il percevait comme étouffante. Il avait choisi de fuir cette vie, de quitter ses amis. Ses choix, il les avait réfléchis longuement. Il ne reviendrait pas en arrière.

septembre 2009- juillet 2011, paris. Il quittait les couloirs du métro pour son premier jour de classe. Sa vie commençait à présent. Il vivait à Paris depuis une semaine, il avait eu le temps de s’imprégner de cette atmosphère à la française, de perfectionner son français, de visiter cette ville mythique dont il avait rêvé. Il suivait le chemin de sa destinée. Il restait émerveillé devant tout, devant n’importe quoi. Particulièrement devant cette école qui se tenait devant lui. Une grande bâtisse qui lui faisait face, qui l’appelait. « Les cours ont lieu à l’intérieur, tu sais ? » Il redescendait de son nuage pour tomber nez à nez avec une jeune femme, brune. Son visage semblait être celui d’un ange, ses yeux brillaient. Une flamme de joie luisait dans ses pupilles. « Je m’appelle Sarah. » Sarah, doux nom qui résonnait à ses oreilles comme une musique, une mélodie fine. Comme le bruit d’un crayon sur du papier, comme le frottement d’un pinceau sur une toile. « Moi c’est Samaël. Je suis enchanté de te rencontrer. » Elle avait ri. Rire cristalline, envoutant. Déconcertant. « Un anglais à Paris, comme c’est intéressant. Suis-moi. » Il ne l’avait plus lâché. Cette tornade brune lui avait fait découvrir les merveilles de cette ville, de l’école. Ils suivaient les mêmes cours. Elle voulait travailler dans l’industrie du dessin animé. Lui dans celle du jeu vidéo. Deux univers souvent bien différents mais qui les avaient rapproché.

« Epouse-moi, Sarah. » Ils marchaient sur le Pont des Arts, main dans la main, un sourire niais sur le visage. Leur couple durait, perdurait depuis un an. Samaël était fou, fou d’amour pour cette brune qu’il avait rencontré lors de son premier jour. Son cœur battait comme au premier jour, ses yeux brillaient depuis ce jour. Il n’avait rien à lui offrir si ce n’est une bague sans artifice. « Je pourrais mettre le genou à terre, mais je me souviens t’avoir entendu dire que tu trouvais ça ringard. » Il s’en souvenait très bien. C’était un soir devant une de ces comédies romantiques que la chaîne populaire française se plaisait de diffuser le dimanche soir. Il sourit, elle riait. Cet amour, il leurs était tombé dessus sans qu’ils ne l’attendent. Tout naturellement, leur relation avait évolué. Leur vie avait changé. Sur ce Pont des Arts, endroit qu’ils aimaient particulièrement, elle avait dit oui. Oui à un mariage soudain, oui à cette bague en toc. Oui à une vie sans extravagance. Oui à leur amour devenu démesuré avec le temps. Ils s’étaient dit oui à la Mairie, quelques amis pour témoin, une lune de miel sous les draps. Ce mariage soudain avait surpris. Sarah avait dû s’expliquer, Samaël avait été déshérité. Ils s’en fichaient. Jusqu’à ce jour de février. « Merde ! Je suis enceinte. »

« Elle est dans le coma, Monsieur. Nous ne savons pas si elle se réveillera. » Un accident s’était produit, renversant une jeune femme, tuant sur le coup un quarantenaire. Sur le visage de Samaël, la haine et les larmes se mélangeaient. La colère se lisait dans ses yeux bruns, ses poings crispés et sa mâchoire serrée le rendaient plus nerveux que possible. A ses côtés, dans une poussette, une petite fille était endormie. Elle n’avait qu’un mois. Le désespoir s’abattait sur lui. Le chagrin aussi. Il restait près d’elle chaque jour, Louise dans les bras dans l’espoir qu’elle se réveille. Il tentait de s’occuper du mieux que possible de cette enfant, ce bébé encore fragile. « Vous voulez que je la prenne ? » avait-dit un jour la mère de Sarah. Il avait refusé. Il avait toujours refusé cette aide qu’elle lui offrait de peur de plus revoir sa fille. Jusqu’aux derniers moments, il avait refusé que cette femme emmène Louise avec elle. Durant trois mois, il avait naviguait entre l’hôpital et son appartement. Durant trois mois, il avait espéré intensément qu’elle lui revienne. Il n’avait aucun pouvoir sur elle, ses parents oui. Elle vivait grâce à son respirateur. Ils l’avaient débranché. « Comment vous avez pu lui faire ça ? Comment vous avez pu la priver de sa vie ? Vous êtes des monstres ! » Ils avaient été horribles avec lui. Il avait dû se battre pour obtenir la garde de sa propre fille. Il avait dû téléphoner à sa sœur pour l’aider. « J’ai besoin d’un avocat, Liz. Ils veulent me prendre ma fille. » Il s’était battu jusqu’au bout, jusqu’à ne plus pouvoir le faire. Jusqu’à obtenir ce qu’il voulait. Il était ressorti vainqueur d’un procès qu’il n’avait pas souhaité. Il avait obtenu son diplôme de justesse et avait décidé de quitter Paris. De fuir ses souvenirs pour revenir à ses origines.

2015, brighton. De larges cernes rongeaient son visage autrefois enfantin. Ses yeux étaient rougis par les larmes qu’il avait encore une fois versées. Son corps le faisait souffrir, son cœur aussi. Il était meurtri, encore et toujours. Il n’avait pas réussi à dormir cette nuit, sentant les cauchemars ressurgir dans son esprit déjà fortement noyé par le chagrin. Il se laissait doucement périr, sans se rendre compte. Il tentait de survivre. Parce que chaque matin, il voyait le visage angélique de Louise, cette petite brune qui ressemblait tant à son premier amour. « Papa, je veux regarder ça. » Elle le sortait de ses rêveries, de ses moments d’absence. Aurait-elle été mieux avec ses grands-parents ? Il ne voulait pas croire qu’il était un mauvais père. Il faisait tout sous possible pour elle, il essayait autant qu’il le pouvait de la rendre heureuse. D’être heureux lui-même. Louise était le rayon de soleil de sa vie. Pas encore assez puissant pour le sortir de sa tempête, pas encore assez lumineux pour écarter les nuages sombres qui le rendaient maussade. Pour elle, il se mettait en quatre. Pour elle, il travaillait jour et nuit. Pour gagner un peu d’argent, pour lui offrir le meilleur. Louise allait prendre quatre ans en juin. En juillet, Samaël fêtera la quatrième anniversaire de la mort de Sarah.