Il faisait plutôt froid, ce matin-là. Le soleil commençait à poindre, de par derrière les vagues, léchant de ses rayons jaunes les nuages l’entourant. L’horizon s’enflammait, et Gigi était installé, devant. Il s’était décidé à sortir de chez lui, avait mis deux de ses chiens-loups dans sa voiture et s’en était allé vers les falaises. Cela avait été une longue nuit, où encore une fois le sommeil l’avait fui. Il l’avait appelé avec des somnifères, mais rien. Alors il avait retrouvé un reste d’herbe, s’était roulé un joint. Rien. Un verre, deux verres, trois verres... Plus possible de poser la tête sur l’oreiller sans avoir de nausées. Bravo. C’était pire encore que rien.

Gigi s’était alors mis à jouer au golf dans sa demeure, avait cassé un vase et un cadre – ses animaux, surexcités par toute cette activité, ne cessaient alors de courir de haut en bas de la bâtisse, faisant suffisamment de bruit pour réveiller les voisins, qui mécontents vinrent sonner à la porte de Gigi. Qu’il fasse cesser ce vacarme, ou ils appelaient la police ! Ce ne serait pas la première fois, tiens. Alors il souffla une bouffée de cigare dans leur visage et, sourire mielleux sur ses lèvres sèches, referma la porte. « Ouiii, à vos ordres mon roiii, ma reiiine ! » Que d’ironie dans ses propos décousus.

Voilà comment on se retrouve, à six heures du matin, à fouler l’herbe sauvage, pantoufles aux pieds. Il avait à peine pris le temps d’enfiler sa luxueuse robe de chambre au-dessus de son pyjama – ou plutôt, d’un pyjama appartenant, auparavant, à son amant. Un peu trop grand, un peu déformé par le temps. Troué et élimé, aux tons neutres – gris et noir. Marjan n’avait jamais eu le moindre goût vestimentaire. Et Gigi, pas le moindre instinct de préservation. C’était un miracle qu’il soit arrivé là sans causer le moindre accident. Sur le siège avant, côté, passager, une vieille bouteille de bourbon, accompagné d’un verre en cristal. Boire à la bouteille lui coûterait son honneur !

Ses animaux, plus encore excités du fait de la liberté leur étant offerte, ne mirent pas longtemps avant de s’éloigner, courant rapidement, chasser les animaux sauvages et insectes volant bas, les ailes chargées de rosée. Gigi ne les rappela pas, son corps roula sur le sol et il s’endormit, enfin. Il avait fallu tout cela, pour qu’enfin le sommeille ne l’accepte. Plus rien n’importait, pas même la sécurité de ses animaux chéris... sans muselière, ils pouvaient être considérés comme dangereux, et être enlevés par les autorités !

Mais, mais. La fatigue faisait s’effacer tous les maux, et les rêves faisaient oublier la réalité. Pour une fois, il dormait paisiblement ! malgré le froid, malgré le lieu. Malgré tout.

Il ne pouvait dormir, tranquillement. Non, après le fait qu’il ne trouvait lui-même pas le sommeil, voilà qu’on lui interdisait d’y succomber ! Il avait l’impression que cela ne faisait que quelques minutes qu’il s’était assoupi, que voilà qu’on le secouait. Quelques minutes qui avaient suffi à le rendre confus, en tout cas... il se croyait chez lui, au chaud, dans son lit. Ou sur le canapé. Rien n’était clair... mais il se sentait bien. Alors, pourquoi venait-on le tirer de ses songes ? Et, d’une façon si détestable ! Secousses et mots durs, voilà une drôle façon que de réveiller une personne de son rang. Oh, ce n’était pas la première fois – mais toujours s’en offusquait-il. Quelle idiote, irrespectueuse, osait le traiter ainsi ? Gigi mit un temps, avant de reconnaître la voix de la personne, qui le traitait rudement. Le secouant dans tous les sens, comme le dernier des... ivrognes. Des connards.

Le châtain finit par ouvrir ses yeux clairs, et fut aveuglé par les lueurs du matin – cela ne l’empêcha pas de décocher un regard meurtrier à celle qui l’insultait. Gigi chercha à décrocher ses mains de son corps, peu heureux de la prise qu’elle avait sur lui. De plus, cela faisait remonter ses nausées... Il voulut saisir un drap, mais ne saisit que le vent. C’est à ce moment-là qu’il comprit qu’il n’était pas chez lui, et que lui revint en mémoire comment il avait décidé de sortir chez lui, prenant sa voiture, son cognac et deux de ses chiens. Et ces derniers avaient réussi à invoquer la présence de leur gardienne, sans qu’il ne sache trop comment... à moins qu’il l’ait appelée ? Tout était flou. Non, non ! Il n’aurait pas fait cela. Si ?

« De un, je ne suis pas gros... je suis svelte, et élégant... De deux, si vous pouviez éviter de me secouer... si vous pouvez juste éviter de me toucher, merci ! » Quelle audace avait-elle... poser ses mains griffues de sorcière sur lui ! Il se redressa, s’épousseta, frotta ses yeux et vit que ses deux chiens attendaient, à ses côtés, patiemment. Tout le monde avait l’air de bien aller... alors pourquoi le réveiller ? Enfin s’était-il endormi ! Et cela, malgré le froid qu’il faisait... Pendant quelques instants, il dévisagea la tempête qui venait de le réveiller. Elle était toujours en colère. Toujours un reproche entre ses dents. Oh, ce n’était pas si dérangeant que cela... le châtain avait besoin de cela. De faire naître des étincelles, de faire aller la rage, contre quelque chose... contre quelqu’un. Toute cette frustration ! Ah, elle pouvait bien supporter cela. Il le savait ; ces bleus sur son corps, ces cernes sous ses yeux... ce n’était pas sa faute. Il y avait pire, dans sa vie. « Bon. Quoi ? »