C’était plutôt rare qu’il se rende à la fête foraine. Certains auraient même pu dire que ça relevait du miracle – ils le connaissaient peu. Il n’avait tout bonnement pas assez de temps pour y faire un tour, mais dès que l’occasion se présentait, il n’hésitait pas. Après tout, il appréciait cet endroit à sa juste valeur, et se sentait comme un gosse parmi tout ce peuple. Il adorait les sensations fortes, et l’endroit s’y prêtait fort bien. Il adorait les friandises tellement appréciées par les gamins. Il adorait l’ambiance. La musique. L’euphorie. C’était un endroit où, quoique l’on ait pu connaitre dans la journée, de bon ou de mauvais, tout pouvait s’oublier le temps d’un instant. Et ce jour-là, il en avait un grand besoin. Se vider l’esprit, s’évader, oublier, se rappeler que la vie était belle et qu’elle valait la peine d’être vécue. Il ne l’oubliait jamais, mais parfois lors d’une mission difficile, il était facile de se laisser aller à la morosité. Le plus dur dans son métier, c’était d’être confronté aux enfants. Un incendie, il savait gérer depuis le temps. Un accident de la route, il savait gérer. Un dégât des eaux, il savait gérer. Une chute dans un escalier, ou même dehors, il savait gérer. Mais il suffisait qu’il se retrouve face à un gosse mal en point, voire sur le point de mourir, et il paniquait intérieurement. Il avait été formé de A à Z pour être le meilleur. Et il était fortement récompensé et apprécié dans la caserne pour avoir gagné sa place. Il était bon, non excellent, dans son domaine et se sentait utile chaque jour. Non, pour rien au monde il n’aurait voulu changer de voie.

Pourtant, il admettait que parfois cela pouvait être très dur. Il adressa un sourire à la jeune fille qui lui tendit sa gaufre au sucre – qui le faisait déjà saliver d’avance – et la remercia en lui offrant un billet. Il savait déjà qu’il reviendrait faire un tour par ici – il mangeait facilement pour quatre parfois – mais il ne lui dit pas «  à tout à l’heure ». Il observait le monde qui l’entourait : les enfants qui criaient, riaient et couraient dans tous les sens, rendant au passage leurs parents légèrement dingues. Il regardait les jeunes sortir, se découvrir et flirter. Il regardait les adultes s’ennuyer, ou au contraire retomber en enfance. Il aimait bien imaginer quelle vie pouvait vivre untel, ou untelle. Un passe-temps qui lui permettait non seulement de penser à autre chose qu’au gamin de 8 ans qu’il avait été incapable de sauver le matin même, mais également qui lui rappelait que la vie était précieuse.

Il ne se passa guère plus de cinq minutes entre le moment où il avait commencé à entamer sa gaufre et où son regard tomba sur elle. Il avalait sa dernière bouchée, le sucre autour de ses lèvres et l’air peu glorieux, avant de lui sourire. Elle avait une peau de porcelaine – étrangement ce fut sa première pensée. Elle avait un visage d’ange. Elle avait un air apeuré, voire légèrement surprise. Elle le fixait sans pouvoir détourner les yeux, ou était-elle dans la lune ? Il n’aurait sur le dire, toujours est-il qu’elle le regardait bien lui. Il adressa quelques regards à droite. A gauche. Pour être certains de ce fait. Quand le doute fut évaporé, il finit par s’approcher – ne serait-ce que pour savoir ce qui semblait l’intriguer à ce point. Curieux de nature, il ne pouvait pas agir autrement. Il ignorait juste que ces pas entre elle et lui franchis, sa vie changerait définitivement.

« Bonsoir, » lança-t-il, souriant. « Est-ce que ça va ? » On aurait presque eu l’impression qu’elle voyait un fantôme.

S’il aimait être actif, le sport et l’action – nécessitant souvent d’être à plusieurs, après tout plus on est plus on rit – il appréciait énormément la solitude dans les moments difficiles. Il lui arrivait donc de sortir seul, à la fête foraine comme ce soir-là, dans un bar pour prendre une bière ou même encore dans un parc. Il n’y avait pas meilleur remède pour se ressourcer. Lisa ne comprenait pas ce comportement. Il leur arrivait même souvent de se disputer à ce sujet. Elle ne comprenait pas qu’il n’ait pas besoin d’elle, de lui parler et de l’avoir à ses côtés pour l’épauler. Elle ne comprenait pas qu’il préférait s’isoler. Ce n’était pourtant pas les explications qui manquaient, mais rien n’y faisait. « Nous sommes un couple, Isaac. Nous sommes deux, on est supposé partager tout ce que l’on vit. Tout ce que l’on ressent. Mais chaque fois que les émotions sont trop importantes, tu te dérobes. » C’était un reproche, de toute évidence. « Je ne me dérobe pas, Lisa. Je gère mieux ainsi, tout simplement. Je ne te demande pas de comprendre, » de toute évidence, c’était utopique, « mais de respecter mes choix. » Après tout, n’était-ce pas ce que deux âmes sœurs étaient supposés faire ? N’attendait-on pas de la personne qui partageait notre vie d’être sensible à vos besoins ? De vous soutenir dans les bons comme les mauvais moments ? De vous accepter et vous aimer, malgré et pour vos défauts ? Il le croyait pourtant fermement. « Et toi, tu comprends que lorsque tu agis ainsi, tu me fais du mal ? » Toujours le même refrain, la même dispute. Toujours. Il soupirait généralement, en levant les yeux au ciel et en choisissant de couper cours à la conversation. Il finissait par s’excuser, par lui prendre la main pour la serrer et lui embrasser le front avant de partir à la salle de bains.

Même là, il réalisait bien que quelque chose clochait. Mais c’était tellement plus simple de se voiler la face et de suivre le mouvement. Il ne savait pas trop pourquoi ces pensées maladroites et peu glorieuses concernant son couple faisaient surface ce jour, face à cette jeune femme apeurée et angélique, mais il ne pouvait contrôler ses pensées 24h/24. «  Bonsoir… » lui répondit-elle nerveusement. Il se demanda pourquoi elle ne pouvait détacher son regard de lui, un regard si perçant qu’il aurait pu jurer être touché par lui. « Désolée... vous me rappelez simplement quelqu'un, » finit-elle par répondre, le regard au sol, incapable de réellement se détacher de lui. Il avait senti le malaise en l'apercevant. Il ne s'attendait pas à une telle réponse. Il l'observa quelques secondes en silence, le temps d'assimiler ses paroles. Il était possible qu'il lui rappelle quelqu'un - il le savait mieux que quiconque, et ce même s'il ne l'avait jamais rencontré. Un flash fait surface dans son esprit, un FLASH lointain et qui lui semble étrange. J'ai plutôt un visage passe-partout, c'est vrai, » trouve-t-il le moyen de plaisanter. Il ne saurait dire si c'était son air gêné, son air intrigué ou ce regard transperçant qui le poussaient à vouloir en savoir plus, mais le fait est qu'il avait besoin d'en savoir plus. Est-ce que je peux vous offrir un jus de fruit ? Vous avez vraiment l'air pâle, » lui confit-il. Il ne pouvait pas se douter que la jeune femme avait le sentiment de le reconnaitre. De voir un fantôme encore trop présent. D'être électrocutée sur place. Non, il ne pouvait pas le savoir. Mais il n'avait jamais souhaité quelque chose d'aussi fort ... Je n'ai pas l'habitude de faire cet effet aux jolis femmes, » plaisante-t-il alors, pour la mettre à l'aise. Tandis qu'ils se dirigent lentement vers le stand de boissons, il sent encore son regard intrigué. Pouvait-elle réellement avoir connu son frère ? Comment ? Où ? Le monde était petit, certes, mais il ne pouvait pas croire que ce serait à ce point.

N'est-ce pas ?

Il était à mille lieues de réaliser qu’il rencontrait la fiancée de son jumeau décédé. Il était à mille lieues de comprendre qu’il venait de faire une rencontre bouleversante. A cet instant, elle n’était qu’une jeune femme troublée et trop pâle pour être laissée seule. A cet instant, elle n’était qu’une jeune femme à qui il était prêt à offrir un verre pour qu’elle se sente mieux. Il avait toujours été quelqu’un de bienveillant, que ce soit avec les personnes qu’il aimait ou des inconnus. Il ne supportait pas l’idée que l’on puisse passer à côté de quelqu’un ayant mal ou rencontrant des difficultés sans lever le petit doigt. Il lui arrivait souvent d’aider des personnes âgées à traverser la rue, voire même de les aider à monter leurs courses. Il n’était pas parfait, et il ne le prétendait pas. Mais il partait du principe qu’il devait agir comme il souhaiterait que l’on agisse avec lui dans ces mêmes difficultés. « Traite ton prochain comme tu voudrais que l’on te traite ». C’était un principe, une devise et un devoir à ses yeux. La jeune fille n’était pas handicapée. Ni trop vieille pour avoir besoin de son aide. Mais son regard l’avait transpercé, pour une raison qu’il ignorait encore, et il avait ressenti un besoin immédiat de la rejoindre pour s’assurer qu’elle aille bien. Ainsi était Isaac. Et ainsi le serait-il toujours. « Dans d’autres circonstances, j’aurais pu proposer un verre de vin mais… non seulement on n’en trouve pas ici, mais ce n’est pas trop recommandé dans votre cas, » continuait-il de sourire, la mettant en confiance et lui permettant de penser à autre chose que son trouble encore inconnu. Peut-être ressemblait-il réellement à quelqu’un qu’elle avait connu. Peut-être ressemblait-il à Aidan. Oui, il avait un jumeau. Mais son jumeau vivait à New York depuis leur séparation, et pour autant qu’il sache, il y était toujours. Impossible, donc.

Ils marchèrent quelques secondes, voire minutes il n’aurait su le dire, avant qu’elle ne réponde à son flirt innocent. Il était plutôt habitué à plaire. Il n’en jouait pas. Il n’était pas le genre d’hommes à se faire beau chaque jour pour se sentir vivant. Mais il savait que les femmes pouvaient se retourner sur lui et apprécier ce qu’elles voyaient. Lisa le lui rappelait d’ailleurs assez souvent, ne pouvant s’empêcher d’être légèrement jalouse. Il avait beau lui répéter que tout cela ne l’intéressait pas, qu’il était avec elle et qu’il ne voyait qu’elle, la naturel revenait toujours au galop. « Merci, » répondit-il en se tournant vers elle, arrivés au stand de boissons. Il percevait nettement sa gêne et son désarroi. Intriguant. Elle lui donnait l’impression d’être une biche en pleine forêt, tout en ayant cette force inexpliquée qui émanait d’elle. « Je m’appelle Isaac, » finit-il par se présenter. Après tout, pourquoi ne pas échanger les prénoms ? Quitte à discuter et à passer un moment ensemble, il était naturel de faire les présentations. Il estimait ne pas tromper Lisa. Il estimait qu’il n’y avait rien de mal à discuter avec une jeune fille à la fête foraine. « Et je suis accroc à ce jus d’orange, » continuait-il en lui tendant le sien. « J’avoue venir ici principalement pour ça, » lui fit-il un clin d’œil. C’était d’un naturel perturbant pour certains, il était spontané et ouvert avec tous. Pourquoi avec elle se sentait-il différent ?

« Et vous ? Qu’est-ce qui pousse une jeune femme seule à venir à la fête foraine ? »

«  Je me demande parfois si t’es pas sadomaso’. Honnêtement, » lui lançait son ami d’enfance – qu’il considérait comme son frère. Le coureur de jupons qu’il était saignait intérieurement de ne pouvoir compter les points avec Isaac concernant les femmes. « Sérieusement, tu ne t’ennuies pas ? Je parle sérieusement, copain. Je sais que l’amour, tout le tralala autour de ça, ça compte pour toi, et je ne me permettrais pas de juger. Mais quand je te vois avec Lisa, j’ai l’impression de voir un vieux couple qui fait un peu tâche sur le tableau, tu vois, » lui balançait-il en pleine gueule. Isaac avait l’habitude d’écouter les remarques, critiques et compliments – si, si, il pouvait en faire – concernant son couple et la femme qu’il avait choisie pour partenaire. « Ce que je veux dire, c’est que ça me ferait royalement chier que tu restes avec elle juste pour obtenir quelque chose qui te tient à cœur… tout en sachant que ce n’est pas la bonne. » Avait-il vu juste ? Isaac l’écoutait en général avec une oreille attentive – même s’il prétendait parfois en rire et s’en moquer. Mais les remarques perpétuelles concernant Lisa l’agaçaient ces derniers temps. Pas parce que son meilleur pote avait du mal à apprécier Lisa, mais surtout parce qu’il le faisait douter.

L’aimait-il ? Il en était persuadé en tout cas. Du moins, aussi fort qu’il pensait pouvoir aimer. Mais l’aimait-il au point de faire sa demande ? Au point de fonder une famille ? Au point de vouloir vivre avec elle, vieillir auprès d’elle ? Il en avait tellement besoin, tellement envie qu’il se convainquait que oui, la plupart du temps. Cependant, au fond de lui-même il connaissait parfaitement la réponse.


«  Dans mon cas ? » lui demandait la jeune fille, le sortant de sa torpeur. Il n’avait pas remarqué que sa petite boutade avait pu la froisser ou la choquer – quelque chose dans son ton et dans son regard lui faisait comprendre qu’elle plaisantait légèrement. « Je vous ai suffisamment bouleversé comme ça ce soir, je pense, c’est ce que je voulais dire, » riait-il légèrement. Il aurait donné cher pour lui demander ce qui l’avait tant perturbé quelques minutes plus tôt, mais il n’avait pas envie d’être intrusif, ou d’être maladroit. Pour certaines personnes, sa proposition de lui offrir un verre aurait pu sous-entendre énormément de choses, telle que flirter avec elle. Quand on connaissait Isaac, on savait que ce n’était pas forcément le cas, qu’il avait une gentillesse et une spontanéité innées. Elle aurait été un homme qu’il aurait sans doute eu la même attitude – ou presque. « Dylan ? Plutôt unique pour une jeune femme. J’aime bien, » admit-il en payant leurs verres. L’originalité était quelque chose qu’il appréciait particulièrement – depuis toujours, sans trop savoir pourquoi. Juste qu’il aimait quand les choses n’étaient pas organisées, parfaites et trop communes. Il éclata de rire, légèrement, quand elle admit que son excuse de venir ici était plutôt bonne. Si seulement elle savait… Mais raconter à une inconnue qu’il avait eu une dure journée et que cet endroit était comme un cocon où il adorait se ressourcer pour oublier n’était pas vraiment dans ses cordes. « La solitude, probablement, » fut sa réponse quand il lui demanda pourquoi elle se retrouvait seule par ici. Pouvait-elle vraiment être seule ? La question était plutôt, qui pouvait oser la laisser seule ? C’était fort stupide de sa part de penser ainsi, se dit-il en fronçant les sourcils mécontent de lui-même. Il n’était pas du genre macho, ni même possessif. Mais l’idée qu’elle puisse être « seule » parmi tout ce monde – on n’était en sécurité nulle part – le révoltait presque. « Calme-toi, Isaac. C’est une femme, forte semble-t-il. Elle est bien capable de s’en sortir sans avoir un homme à ses côtés. Fous-toi deux claques et souris, » se morigéna-t-il. Un sourire.

Pourtant, quelque chose dans ses yeux ne mentait pas. La solitude faisait partie de sa vie. Comme si elle s’était coupée du monde volontairement, ce qui l’intriguait d’autant plus qu’il sentait une joie de vivre sous cette carapace. « Je suis arrivée à Brighton il y'a peu, j'essaie de rencontrer du monde et de m'intégrer comme je le peux. » Ainsi ceci expliquait cela. Il l’observa un instant, longuement, plus longuement que voulu. Elle baissa les yeux, peut-être gênée. Il se racla la gorge comme s’il se réveillait soudainement. « Je pensais bien avoir entendu un léger accent… Américaine ? Comment se passe la vie à Brighton, alors ? Pas trop dépaysée ? » Et à vrai dire, les questions fusaient dans sa tête. Combien de temps restait-elle ? Que faisait-elle en ville ? Pourquoi ce changement ? Mais à quoi bon la brusquer ? Elle n’était qu’une inconnue, n’est-ce pas ?

« New Yorkaise, pour être précise, » lui répondit-elle. Très loin au fond de lui, l’image de New York se figea dans sa tête. Pendant quelques secondes, peut-être même plus il ne saurait le dire, il se laissa divaguer dans le passé. Une naissance dans un autre pays que le sien, dans une ville dans laquelle il n’était jamais allé. Un jumeau qu’on lui avait enlevé – parce qu’il n’y avait pas d’autre alternative, on lui avait enlevé son jumeau, et lui avait été enlevé à Aidan. Très souvent, plus petit, il s’était demandé comment leurs parents avaient pu réagir ainsi. Comment des parents pouvaient laisser leurs querelles et leurs histoires détruire une vie de famille – et en particulier un lien fraternel, aussi complexe que celui de jumeaux. Mais à quoi bon se poser la question ? Sa mère refusait catégoriquement de lui répondre. Et il avait abandonné au bout de quelques années à la questionner. Il avait tenté plusieurs fois de rentrer en contact avec son père. Ou Aidan. Ils avaient pu échanger quelques mots, adolescents. Ils étaient sur la même longueur d’ondes malgré la distance. Mais jamais ils n’avaient pu concrétiser cet échange et se retrouver. A quel moment avait-il abandonné l’idée de voir son frère ? Il fronça les sourcils, se détestant un instant de ne pas s’être posé la question plus tôt. La vie, sans doute. « Je ne suis jamais allé à New York, » dit-il machinalement pour ne pas laisser le silence s’installer, et rendre les choses encore plus étranges qu’elles ne semblaient l’être actuellement. « Mais j’ai de la famille là-bas, » ajoutait-il, sans savoir pourquoi. Il sentit son téléphone vibrer dans sa poche, signe que l’on s’impatientait à ne pas le voir appeler ou rentrer. Il l’ignora complètement, toujours dans le besoin de s’évader. Pour une raison étrange, il ne voulait parler à personne d’autre que la jeune inconnue, Dylan. « Pour l'instant tout se passe bien. J'ai toujours aimé l'Angleterre et Brighton semble être un petit coin de paradis. » Il acquiesça, ne pouvant pas dire le contraire. Il adorait sa ville. Il adorait son pays. Ce qui ne voulait pas dire qu’il n’aurait pas souhaité découvrir le monde et de voyager, mais il devait admettre que Brighton lui convenait parfaitement. « C’est vrai que Brighton est agréable à vivre. Mais je ne suis sans doute pas objectif, j’y ai vécu toute ma vie, » lui souriait-il, répondant à sa question suivante. Que pouvait-il ajouter d’autres ? Que sa mère avait été aigrie toute sa vie ? Qu’elle avait choisi de débarquer dans sa ville natale pour échapper à quelque chose dont il ignorait l’existence ? Qu’elle avait choisi de l’emmener lui, laissant son autre fils aux mains de leur père ? Que son enfance paraissait un peu trop chaotique pour pouvoir en parler ? Que le manque de son frère l’avait poursuivi toute sa vie et continuait encore ? Non. Il était ouvert et très sociable, mais pas au point d’étaler sa vie personnelle sur un plateau. « Vous comptez rester longtemps en ville ? Si vous avez besoin d’un guide, » ajoutait-il en imitant une légère révérence, « j’en serai ravi. J’ai des horaires de pompier, j’avoue, mais en-dehors de ça je suis persuadé que vous ne verrez plus Brighton du même œil quand mes amis et moi vous auront fait visiter, » continuait-il sur un ton enjoué. Comme s’il n’avait pas eu de projet aussi palpitant depuis des lustres. La vérité c’est qu’il avait besoin de renouveau, de changer un peu sa routine et que la jeune femme se présentait au bon moment…