Ses cheveux commençaient à se faire longs, dans sa nuque. Quand il y passait ses doigts, il les sentait rester dressés – car en plus, ils étaient gras. Impossible de les coiffer comme il le fallait : des mèches retombaient dans ses yeux, et cela en devenait fort inconvenant. Gigi avait même tenté de les attacher avec des pinces à linge... Ou de se faire un bandana avec l’aide d’un t-shirt. Mais, rien à faire... ses cheveux, indisciplinés, revenaient dans ses yeux. Hier il avait donné, avec rage, un coup de ciseau dans sa frange... n’arrangeant pas les choses, loin de là. Mais cela avait été la meilleure solution qu’il soit, par rapport aux dernières essayées... Sans être inquiété par ses mèches rebelles, il avait fini de remplir quelques pages de notes. Puis s’était endormi aux pieds de son bureau, l’alcool lui ayant fait oublier qu’il possédait un lit.

Cela l’avait fait rire, quand il s’était retrouvé, le lendemain matin, devant son reflet, dans une vitre. Quelle catastrophe ! Il ressemblait à ses paysans à la frange toute droite, au niveau des sourcils. A ces petites filles coiffées rapidement par leurs mères... Bref, il n’avait plus rien du grand, fier et distingué Gigi Tiger. Heureusement pour lui, c’était aujourd’hui que devait passer sa coiffeuse – Cyan, Sian... il ne s’était jamais vraiment préoccupé de savoir comment s’écrivait son prénom, et l’avait souvent oublié, d’ailleurs. Parfois, il l’appelait Magenta. Quand il voulait bien lui donner un prénom... la plupart du temps, il lui donnait Eh comme prénom, Toi comme nom. Eh, toi... Oh, elle devait se sentir aimer, et reconnue ! Surtout quand il ne faisait que critiquer son travail, se rappelant qu’il avait été coiffé par les plus grands, de Paris à Tokyo.

Vite, vite, il prit une douche, histoire que ses cheveux soient humides quand elle arrive. Vie, vite, il poussa du pied les éclats d’un verre, et se coupa. Assez méchamment. Maintenant, à la place de quelques brisures transparentes, de grandes traces rouges sang s’étalaient sur le carrelage de la cuisine... Il s’en alla de nouveau vers sa salle de bain, laissant dans son sillon des tâches vermillon. « Merdemerde », « putainputain », que de beaux mots échappant de sa bouche alors qu’il renversait l’intérieur de ses tiroirs, à la recherche d’une compresse et d’un sparadrap. « Merdemerdeputainputain », il ne trouvait pas ce qu’il cherchait !

Evidemment, c’est à ce moment qu’on sonna à la porte. Il continua à chercher, qu’importe, mais une seconde sonnerie se fit entendre... Bref, s’il voulait une coupe de cheveux acceptable, il avait intérêt à venir ouvrir, ou il devra attendre ! Tant pis pour le sang, elle nettoierait – elle, la pauvrette qu’on avait envoyé récurer chez lui – son apparence physique était plus importante que la propreté de sa maison !

Il ferma la boucle de sa ceinture, voulant avoir l’air à peu près présentable – un t-shirt noir dans un pantalon de costume, noir. Pas le temps d’enfiler chemise, ou chaussette. Dans l’embrasure de la porte apparut un visage féminin, aux traits stressés – quoi, elle n’était pas heureuse de le voir ? Lui, le grand, le magnificient ! Elle devrait sauter à son coup, embrasser ses mains et ses pieds ! Etait-elle encore sur leur petite brouille de la fois dernière ? En même temps, qu’avait-elle imaginé... Bref. Pour lui, c’était du passé – et il y avait plus urgent. Ses cheveux, et son pied. Avant d’ouvrir en grand la porte, pour la laisser entrer, il se baissa rapidement, mettant ses doigts sur sa blessure, forçant le sang à en sortir, pour le répandre sur sa main. Et le voilà, reparti sur la scène de ses délires.

« Mademoiselle ! Appelez un docteur, une ambulance ! Je me meurs – on m’a coupé le pied, et on a tenté de couper ma tête ! » Il passa rapidement ses doigts dans sa frange, mettant en avant les dégâts qu’il avait fait, et ne put s’empêcher de sourire. « Heureusement ils n’ont eu que la pointe de mes cheveux, mais qu’ai-je l’air hideux... »

Puis, une pause, alors qu’il détaillait le visage de sa coiffeuse. Il posa sa main sur sa poitrine, et prit un air désolé. Mais, ce n’était qu’un air. Tout ce qu’il voulait, c’était lui jouer un mauvais tour... encore. « Vous avez l’air tendue, je vois des rides sur votre front... oh, mais ; il paraît que le sang a des propriétés rajeunissantes, permettez-moi... » Et hop, d’un geste rapide, il la baptisa de son hémoglobine – à présent, elle ressemblait à Simba, dans le Roi Lion.

« - Pourriez-vous couper un peu plus par ici ? » Tu te contentes de sourire pour seule réponse. Tu aimes te dire que parfois, il faut savoir se taire, juste acquiescer. Madame Wilson est une bonne cliente, une régulière comme on les appelle au salon. Elle est un peu exigeante mais heureusement sympathique. Elle était déjà là à tes débuts ici. Elle t'a vue évoluer, grandir et gravir les échelons. « - Vous avez parcouru un sacré bout de chemin ma p'tite, j'me rappelle de vous au début, l'apprentie pas trop dégourdie, et regardez aujourd'hui, c'est vous la patronne, qui l'eût cru. » Chaque fois, c'est le même discours. Elle parle de Richard, l'ancien chef, avec beaucoup de nostalgie. Parfois, elle confie même qu'elle se sent ici un peu comme chez elle. Madame Wilson, elle est comme ça. Directe, franche, peut-être un peu maladroite, mais très attachante. Tu sais que c'est une chance car avec les clients, ce n'est pas toujours ainsi. Tu lui arranges une dernière fois son brushing, elle le veut toujours de la même façon, avec du volume, beaucoup de volume. Tu t'assures qu'aucune mèche rebelle ne dépasse car Madame Wilson vieille, surveille. Puis tu laques, beaucoup. « - Allez-y ma p'tite, faut que ça tienne. » dit-elle comme toujours, ce qui t'arrache un sourire.

Alors que tu laisses Madame Wilson admirer sa coiffure habituelle, Beckah arrive vers toi, combiné à l'oreille. Une fois à ta hauteur, elle pose une main sur le micro afin que son interlocuteur ne puisse pas l'entendre. « - Monsieur Mac An Tsa... euh, j'sais plus quoi. Il veut... il veut que tu ailles chez lui pour une coupe, ton carnet de rendez-vous est blindé, tu veux que je lui dise qu'aujourd'hui c'est impossible, qu'il vaut mieux qu'il se déplace ? ». S'il y a des clients exigeants mais agréable, ce dernier n'en fait absolument pas partit. Tu soupires, exaspérée que ce mec puisse avoir le culot d'appeler à nouveau ici. Ce n'est pourtant pas dans tes habitudes de faire du domicile, il est sûrement le seul, et c'est mieux ainsi. « - Non, non. Surtout pas. Dis lui que j'arrive dans une demie heure, tu prendras en charge mon prochain rendez-vous. » rétorques-tu donc immédiatement. Tu es loin d'être ravie, mais tu serais encore moins ravie de le voir débarquer ici pour faire un scandale et c'est bien son genre, tu le sais. « - Tu veux que j'y aille sinon ? » Tu rigoles. « - Non, surtout pas. Il est un peu spécial, j'préfère pas. »

Tu prépares tes affaires, ciseaux, tondeuse, tout le matériel nécessaire au moindre caprice de Monsieur. En chemin, tu soupires, vraiment peu motivée pour cet "affrontement". Une fois à l'adresse, que tu connais déjà plus ou moins par coeur puisque ce n'est pas la première fois que tu viens, tu te gares, traînes ton matériel, sonnes à la porte, puis tu attends un peu impatiente qu'il daigne venir t'ouvrir, parce qu'en plus, il ne faut pas être pressée. Tu tapes du pied, tu veux rentrer et quand finalement la porte s'ouvre, c'est pour laisser apparaître l'un de ses nombreux spectacles. Tu lèves les yeux au ciel, préférant le laisser à ses divagations. Ton visage est fermé, aucun sourire, aucune émotion ne transgresse si ce n'est peut-être que de l'exaspération. Bien sûr, tu ne crois pas un mot de ses balivernes. Tu as cependant presque envie de rire lorsque tu découvres l'étendue des dégâts, cette frange affreuse, coupé droite et n'importe comment.

Les choses auraient pu probablement bien se passer mais comme à son habitude, il faut toujours qu'il en rajoute des tonnes. « - Je vais arranger ça. » Pas besoin d'en dire plus. Tu aurais pu simplement réparer les dégâts, lui dire au revoir, et tu serais déjà au salon, soulagée que cette épreuve soit enfin terminée. Mais non, bien sûr que non, ça aurait été trop simple. En plein délire et après avoir constaté ton air fermé, il te souille le front de son sang, vantant ses mérites rajeunissant. L'effet est immédiat, tu le repousses, puis recules d'un pas. « - Mais vous êtes complètement cinglé, c'est quoi votre problème ? » Tu hurles, son comportement te met vraiment dans une rage profonde. Tu fouilles dans ton sac  à la recherche d'un mouchoir, d'une lingette, n'importe quoi qui pourrait effacer toute trace de son ADN sur toi. « - Continuez comme ça et j'vous assure que vous resterez dans cet état là. C'est pas possible... Aucun argent ne vaut la peine de supporter ça. » Tu soupires, tentant d'effacer les traces d'hémoglobines. Tu ramasses ensuite ton sac, tombé au sol par la surprise de son geste. Tu secoues la tête, prête à renoncer à faire le moindre effort. « - Bon, vous arrêtez votre cinéma, et on passe à cette coupe ? Ou je m'en vais maintenant et vous vous débrouillez tout seul ? »